Mais le cap’tain, très professionnel, ne se contente pas du guide et étudie attentivement la carte pour s’apercevoir assez vite que le passage est pratiquement rectiligne et qu’il y a 450 mètres entre les récifs de part et d’autre du chenal. Il en conclut aussitôt que, comme souvent, les guides gonflent les difficultés, peut-être pour inciter à la prudence ou pour une recherche de sensationnel. Ou peut-être que si l’on dit que tout est facile, cela n’intéressera pas les gens… En tout cas, nous passons ces rapides sans peur et sans reproches si ce n’est que, partis tôt pour éviter le vent contraire qui se lève invariablement en milieu de journée, nous n’avons pas le bon courant et notre vitesse est plutôt triste (moins de 2 Nds par moment au début). C’était pourtant la dernière portion du trajet où nous aurions pu profiter encore de la marée montante. Après ces rapides, nous aurons toujours le courant contre nous.Malgré notre faible vitesse, nous finissons par arriver sans encombre à Trois-Rivières. Pourquoi ce nom ? Parce qu’à son confluent avec le St Laurent, la rivière St Maurice est divisée en trois branches par deux îles. Les premiers arrivants ont donc cru avoir à faire à trois rivières. La marina est très champêtre, installée sur une des îles qui divisent la rivière. Mais une fois installé on s’aperçoit que sur l’île d’en face, est installée une grosse usine, bruyante et odorante. Nous apprendrons plus tard que c’est une des dernières papeteries de la ville qui a eu à un moment la plus grande papeterie mondiale. Et c’est Boréalis, le Musée de la Papeterie, justement, que mon équipage s’en va visiter. Sébastien l’avait indiqué à ma mousse comme «à ne pas manquer» et ils ne l’ont pas manqué.
C’est une ancienne papeterie, aujourd’hui transformée en musée, où restent des machines et une partie de l’infrastructure, entre autre l’usine de filtration de l’eau pompée dans la rivière. L’histoire du papier commence en haut de la rivière St Maurice, source inépuisable de troncs qui descendent par la rivière qui, elle-même, fournit l’eau nécessaire à la fabrication. Tout était donc réuni en un même endroit, ce qui explique l’essor important, à Trois Rivières de la papeterie qui a fait vivre des générations de familles et marqué la ville de façon indélébile.
Il nous reste ensuite une grande étape jusqu’à Montréal. Le cap’tain décide de fractionner le trajet. Sa raison principale est que, en remontant la rivière, l’eau du St Laurent s’est considérablement radoucie. Nous naviguons maintenant dans une eau tout à fait douce, à la température presque tropicale de 25°.
Nos deux étapes sont donc des mouillages et mon équipage plonge avec délice dans cette eau claire et tiède. Cela fait du bien au moral du cap’tain dépité de naviguer dans l’eau froide et à son dos qui reste toujours fragile.
Reste maintenant à trouver une marina à Montréal dont nous approchons résolument. L’idéal serait, comme à Québec, de s’arrêter à la marina du Vieux Port, c’est-à-dire en plein centre-ville. Mais Hélène, notre informatrice toujours au courant, nous a avertis que la marina était fermée pour cause de grève. Elle nous a dit aussi que la marina de Longueil, face à Montréal n’avait pas de place pour un gros bateau comme le nôtre… Gros, moi, jamais, juste un peu enveloppé… En fait, il y a quand même à Longueil une place (une seule, pas deux…) qui vient de se libérer. C’est Hélène, bien sûr qui nous en avertit et nous nous retrouvons dans la verdure, sagement amarrés au ponton de la marina. C’est dit, il faudra prendre la navette pour aller en face, en centre-ville. Nous irons ensuite à la marina de Lachine, où habite Hélène, qui a proposé à mon équipage, ravi, de lui faire faire un tour dans la région.
En fait, mon équipage ne prendra pas la navette car le cap’tain, pourtant en général bien solide sur ses deux jambes, trouve moyen de tomber en enfourchant son vélo qu’il reçoit dans les côtes. Je vois revenir à bord un équipage éclopé, le cap’tain peinant à retrouver sa respiration. Plus question de navette. Et ma mousse avertit Hélène par mail, qu’il y aura peut-être un ou deux jours de délai pour aller à Lachine, d’autant plus qu’il y a deux grosses écluses de la Voie Maritime à passer et que le cap’tain n’est pas en état de tirer sur les boutes.
Du coup nous voyons arriver Hélène, ancienne infirmière chevronnée, venue voir de visu, si le malade a besoin de soins ou pas. Finalement, comme tous les problèmes de côtes, du moment qu’il n’y a rien de cassé, la seule chose à faire est d’attendre que les choses se remettent d’elle-même et en attendant, de souffrir en silence.
Par contre, Hélène, qui est une femme de ressource, nous propose de nous accompagner pour le passage des écluses. C’est surement une bonne idée et mon équipage accepte avec reconnaissance. Juste un ou deux jours, je ne sais plus, pour se remettre du choc et nous partons, de bon matin. Hélène a vu sur le net, que la première écluse pour les plaisanciers est à 9h.
Un mot sur la "Voie Maritime": Autrefois, les gros bateaux ne pouvaient remonter au-delà des Rapides Richelieu qui ont fini par être dragués mais les Rapides de Lachine, juste après Montréal constituaient
toujours un obstacle infranchissable. Les bateaux empruntaient de petits canaux dont le Canal Lachine mais les tonnages restaient très modestes.
Après des travaux gigantesques faits conjointement par le Canada et les Etats Unis, la "Voie Maritime" qui rend le St Laurent navigable jusqu'au lac Ontario grâce à 7 écluses a été ouverte à la circulation des gros navires en 1959.